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Les preuves déloyales ou illicites peuvent être recevables dans un procès

18 juillet 2024

1. Le nouveau principe 

Les preuves obtenues de manière déloyale ou illicite , peuvent désormais  être examinées par un juge en matière civile, sous certaines conditions bien entendu.

Les conséquences pratiques sont très nombreuses. Il va falloir repenser en partie les relations de travail.

Par exemple, auparavant, il était admis que les journaux informatiques (logs) qui tracent l’activité informatique des salariés dans les entreprises, ne peuvent pas être exploités afin de caractériser une faute des salariés sans qu’une information préalable ne leur ait été adressée (principe de loyauté et de transparence qui conduisait à l’élaboration d’une charte). Désormais, les fichiers de journalisation pourront être utilisés à titre de preuve, sous certaines conditions, fut-elle déloyale ou illicite. De même, les traitements informatiques non-conformes au RGPD étaient assimilés à des traitement illicites, donc irrecevables à titre de preuve. Ce ne sera peut-être plus le cas. Prenons également l’exemple de l’enregistrement audio des discussions et entretiens : ils pourront être produits même s’ils ont été réalisés à l’insu des personnes concernées. Concrètement, il conviendra d’organiser l’éventuel enregistrement des entretiens, avant chaque entretien, ou poser le principe d'exclure spécifiquement la possibilité d'enregistrer l'entretien, au cas par cas ou dans une charte ou règlement intérieur.

En effet, dans un procès en matière civile, la Cour de cassation permet désormais au juge d’examiner une preuve déloyale ou illicite. 

Par deux décisions en date du 22 décembre 2023, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation effectue un revirement de jurisprudence sur le fondement des articles 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales  et 9 du Code de procédure civile . 

Elle pose un nouveau principe selon lequel, dans le cadre d’un procès civil :

« l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. 
Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques  en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits ». 

Pour cela, il faut que deux conditions soient remplies, ce que le juge du fond doit vérifier :

1.    que cette production soit indispensable à son exercice (administration de la preuve)
2.    que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

La première décision (n°20-20.648 ) porte sur la validité d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et les indemnités attenantes. En l’espèce, un salarié conteste son licenciement et demande des rappels de salaires au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents. Au soutien de sa demande, il produit des relevés d’heures qui ne sont corroborés par aucun autre élément de preuve. 

L’employeur produit des transcriptions d’enregistrements audios clandestins de l’entretien de mise à pied conservatoire et de l’entretien préalable au licenciement démontrant que le salarié avait refusé de lui fournir le suivi de son activité commerciale.

L’Assemblé plénière retient qu’est recevable la preuve établie par la production des enregistrements audios, et explique que la Cour d’appel aurait dû procéder à un contrôle de proportionnalité.

La seconde décision (n°21-11.330 ) porte sur la validité d’un licenciement disciplinaire. En l’espèce, le remplaçant d’un salarié a utilisé son poste informatique, s'étant connecté au compte Facebook qui n'avait pas été fermé, il a transmis à l'employeur des propos insultants tenus dans un échange. Pour cela, le salarié a été licencié pour faute grave. L’assemblée plénière retient que méconnait le droit à la preuve, l’employeur qui produit un échange issu d’une messagerie Facebook obtenu à l’insu d’un salarié. Elle confirme la décision de la cour d'appel qui avait expliqué que l'atteinte portée à la vie privée du salarié n’était pas justifiée au regard, d'une part, des intérêts légitimes de l'employeur, et d'autre part, de l'impossibilité pour l'employeur de prouver ces propos d’une autre manière. Par conséquent, le licenciement disciplinaire fondé sur des éléments issus de la vie personnelle du salarié n’est pas justifié. 

Comme le souligne le rapport de la Cour de cassation  le juge devra procéder à trois examens. D’abord, il devra se prononcer sur la légitimité du dispositif ou stratagème de preuve opéré par l’une des parties et l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence de l’autre partie. Puis, il devra vérifier si la partie produisant la preuve ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux (caractère indispensable). Enfin, il devra apprécier le caractère proportionné, au regard du but poursuivi. Il est à note que dans un contexte où les calendriers des juridictions sont chargés, l’application du principe posé par le revirement parait alourdir le travail de juges. 

L’arrêt interroge sur l’utilisation en matière de preuves des outils numériques omniprésents (drones, téléphones, ordinateur, etc..) tant pour les justiciables que pour leurs conseils. En effet, ces outils ouvrent aux justiciables et à leurs conseils des perspectives supplémentaires de moyens de preuve tout en présentant aussi des potentiels risques d’atteinte à des droits vitaux ou moraux essentiels (vie privée, secret professionnel, image, etc.).

2. La confirmation du nouveau principe : illustrations (téléchargement ci-dessous) 

 

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