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Restriction du domaine de la nullité pour vice de convocation

19 juin 2024

Convoquée par son gérant associé minoritaire, l’assemblée générale d’une SARL avait révoqué son co-gérant, également associé minoritaire, et décidé la distribution de dividendes. 

Sur demande de l’associé majoritaire de la SARL, une société de droit anglais la contrôlant à hauteur de 63 %, la cour d’appel d’Angers annula ces délibérations pour cause de convocation irrégulière (CA Angers, 25 mai 2021). Après avoir énoncé qu'en application de l'article R. 223-20 du code de commerce les associés d'une SARL sont convoqués quinze jours au moins avant la réunion de l'assemblée par lettre recommandée, les magistrats angevins relevèrent que le seul justificatif de l'envoi d'une convocation à l’associé majoritaire était un document de la poste anglaise retraçant le parcours d'un envoi non identifiable, arrivé de France le 7 octobre 2015 et délivré le lendemain, sans qu'il soit permis d'en connaître ni l'expéditeur ni le destinataire. L'arrêt en conclut qu'à défaut d'une convocation régulière de l’associé demandeur, l'assemblée générale du 14 octobre 2015 et les résolutions votées lors de cette assemblée ne pouvaient qu'être annulées comme le prévoit l'article L. 223-27 du code de commerce (dont le dernier alinéa prévoit que « Toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée »).

L’arrêt est cassé pour manque de base légale par la Chambre commerciale de la Cour de cassation au visa de ce même article L. 223-27, texte dont il résulte, selon la Cour, « que le défaut de convocation régulière de l'associé d'une société à responsabilité limitée à l'assemblée générale de cette société n'entraîne la nullité des délibérations de cette assemblée que si cette irrégularité a privé l'associé de son droit d'y prendre part et qu'elle était de nature à influer sur le résultat du processus de décision »

Il appartiendra à la cour de renvoi (Rennes) de rechercher si le défaut de convocation régulière de l’associé majoritaire à l’assemblée générale l’a privé de son droit à y prendre part (ce qui pourra être discuté) et si son absence a été de nature à influer sur le résultat du processus de décision (ce qui semble d’ores et déjà acquis du fait de la détention par le seul associé mal convoqué de la majorité nécessaire à l’adoption et donc au rejet des résolutions litigieuses adoptées). 

À NOTER : 
Que décider lorsqu’un associé a été effectivement privé  de son droit de participer aux décisions collectives (C. civ., art. 1844, al. 1er) ou qu’au contraire un non associé s’est indument vu accorder ce droit  ? Peut-on annuler les décisions ainsi irrégulièrement adoptées ? Le présent arrêt, soucieux de sécurité juridique, limite le champ de la nullité, en n’acceptant de la prononcer que si elle franchit l’épreuve d’un double filtre : que l’irrégularité ait « privé l'associé de son droit [de] prendre part » à la délibération contestée ET qu’elle soit « de nature à influer sur le résultat du processus de décision ». 

1/ Une irrégularité « de nature à influer sur le résultat du processus de décision »

Le critère de l’irrégularité « de nature à influer » est récent mais préexistait déjà, et c’est pourquoi nous commençons par lui. L ’exigence d’une irrégularité « de nature à influer sur le résultat du processus de décision » est née en 2023 de deux arrêts de la Chambre commerciale :

  • Le premier, dit « Larzul 2 », autorisant pour la première fois l’annulation d’une décision collective de SAS pour cause de violation des formes et conditions d’adoption posées par ses statuts, affirmait déjà que l’irrégularité doit être « de nature à influer sur le résultat du processus de décision » (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324, FS-BR ). 
     
  • Le second a réitéré cette formulation pour en faire la condition (v. contra Cass. 3ème civ., 8 juillet 2015, n° 13-27.248, FS-PB, annulant la décision adoptée du seul fait de la participation d’un intrus à la décision viciée ) d’annulation de résolutions d’assemblées adoptées avec le concours décisif d’associés ayant perdu rétrospectivement cette qualité du fait de l’annulation (rétroactive, donc) des contrats d’acquisition de leurs parts sociales (Cass. com., 11 octobre 2023, n°21-24.646, FS-B  ; phénomène connu sous les termes de « nullités en cascade », de « nullités subséquentes », ou encore de « nullités par répétition » ). Cette dernière décision, bien que rendue en matière de SARL, vise des textes de droit commun des sociétés (C. civ., art. 1844, al. 1er et 1844-10, al. 3), ce qui ne laisse aucun doute quant au fait que le critère de « l’influence » décisive vaut pour toutes les formes de sociétés, commerciales ou civiles. 

Contrairement à ce qu’on voit trop souvent écrit, ce premier critère, tiré de l’« influence (ou « participation ») décisive (ou encore « utile ») », doit être très soigneusement distingué de la théorie dite du « vote utile ». Pour rappel, cette théorie, qui a longtemps divisé la jurisprudence mais semble en voie d’abandon (pour des décisions l’ayant adoptée : v. Cass. com., 21 février 2012, n° 11-11.693, F-PB  ; Cass. com., 12 oct. 2022, n° 19-18.945, FS-PB  ; CA Rennes, 21 mars 2023, n° 21/01014  : BRDA 18/23 inf. 3) repose sur une analyse purement arithmétique, conduite in abstracto, focalisée sur les seules règles de quorum et de majorité : la nullité n’est prononcée que si l’irrégularité a eu pour effet de neutraliser (ou d’activer) des actions ou parts sociales dont la comptabilisation (ou non-comptabilisation) aurait mathématiquement modifié le sens du vote. Une telle vérification nécessite d’ajouter (ou retrancher) les voix de celui indûment privé (ou doté) du droit de vote.

Le critère de « l’influence décisive » laisse plus de place à la nullité et se révèle plus incertain en ce qu’il n’est pas resserré sur une règle restrictive d’application mécanique et ainsi automatique mais s’ouvre sur une appréciation globale, in concreto, qui oblige les juges du fond à exercer au cas par cas leur pouvoir souverain d’appréciation. Il leur appartient d’examiner à cette fin le processus délibératif inhérent à la collégialité de l’organe décisionnel. 
Quant à sa portée concrète, l’affirmation selon laquelle l’irrégularité doit être « de nature à influer sur le résultat du processus de décision » signifie que l’annulation n’implique pas nécessairement que l’irrégularité concerne un ou des associés majoritaires ou égalitaires et ait donc modifié de manière certaine le résultat de la décision : il suffit de démontrer que l’irrégularité a pu influer (elle était « de nature à ») sur « le résultat » en contrariant le « processus de décision ».

Illustrations :
Une résolution pourrait ainsi être annulée si a été mis à l’écart un minoritaire susceptible de faire changer d’avis tout ou partie de ceux l’ayant votée de manière décisive. 
Il en irait de même s’il était établi qu’un intrus, minoritaire voire sans droit de vote, a pu, par sa seule participation à l’assemblée, jouer un rôle décisif dans l’adoption de la décision. 

2/ Une irrégularité ayant « privé l’associé de son droit [de] prendre part » à la délibération

Le critère tiré de la privation du droit de « prendre part » à la délibération est en revanche inédit. C’est la première fois à notre connaissance que la jurisprudence ajoute que le prononcé de la nullité requiert, en sus, que l’associé victime de l’irrégularité ait été « privé […] de son droit [de] prendre part » à la délibération contestée. Ce nouveau filtre aboutit à restreindre davantage le champ de la nullité.

Illustration : 
En l’espèce, bien que la cour d’appel d’Angers ait annulé les résolutions de manière un peu maladroite (l’arrêt affirmant qu’elle « ne pouvaient qu'être annulées comme le prévoit l'article L. 223-27 du code de commerce », alors que le texte prévoit en son dernier alinéa que « toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée »), le fondement de l’annulation paraissait très solide : la convocation irrégulière de l’associé ultra-majoritaire (63% du capital) ne laissait guère planer de doute quant au caractère décisif de cette irrégularité. L’adjonction du premier critère permet à la Chambre commerciale de casser l’arrêt pour manque de base légale. Pour maintenir l’annulation, il faudra donc que la Cour de renvoi (Rennes) établisse, outre le caractère décisif de l’irrégularité, que la convocation de l’associé majoritaire l’avait « privé [de] son droit [de] prendre part » aux délibérations litigieuses. Même si en l’espèce l’associé majoritaire semble avoir au mieux été convoqué six jours à l’avance au lieu de quinze, il faudra, si ce délai est retenu, établir qu’il n’a pas permis au cas d’espèce d’honorer la convocation.

En conclusion, nous formulerons les remarques suivantes :
1° Il est désormais clairement établi que le juge ne peut annuler la délibération dont un associé irrégulièrement convoqué aurait pu empêcher l’adoption (critère de l’ « influence » décisive) que si l’irrégularité l’a effectivement privé de son droit de participer (critère de la « privation du droit de participer ») à cette décision collective litigieuse ; 

2° L’institution de ce double filtre, qui requiert une appréciation au cas par cas sous le contrôle de la Cour de cassation, est une pure création prétorienne, absente de la loi, que seule peut justifier la volonté de la Cour de cassation de limiter les risques de nullité (v. dans le même esprit, Cass. com., 5 déc. 2000, FP, Meilland c. Mandin, refusant d’annuler une assemblée générale de SARL convoquée verbalement et non par LRAR en se fondant sur la ratification ultérieure tacite de l’associé demandeur)

3° Cette jurisprudence nouvelle semble valoir a minima  pour toutes les convocations irrégulières d’associés de sociétés commerciales. Bien que l’article appliqué en l’espèce soit applicable aux seules SARL (C. com., art. L. 223-27), la disposition implicitement visée (dernier al : « Toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée […] ») existe dans les autres sociétés commerciales en des termes identiques (C. com., art. L. 225-104 al. 2 pour les assemblées d’actionnaires de SA et par extension de SCA ; L. 227-9 al. 4 pour les assemblées d’associés de SAS) ou équivalents (C. com., art. L. 221-7, al. 2, pour les assemblées d’associés de SNC) ;

4° On retiendra qu’il est désormais bien établi que l’absence d’un associé majoritaire à l’assemblée générale à laquelle il a été convoqué tardivement n’est pas une cause systématique de nullité.
Cass. com., 29 mai 2024, n°21-21.559, FB

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[1] Ce qui peut résulter d’un défaut de convocation, mais nécessairement doublé d’une non-participation de l’associé aux décisions collectives pour lesquelles il n’a pas été convoqué. En effet, pour rappel, l’action en nullité d’une assemblée irrégulièrement convoquée n’est pas recevable lorsque tous les associés sont présents ou représentés (C. com., art. L. 223-27, dernier al. pour les SARL ; art. L. 225-104, al. 2 pour les SA ; Cass. com., 8 févr. 2005, n°03-19.167, FD, pour les sociétés civiles).  

[2] Rappelons que la Cour de cassation tire de l’article 1844, al. 1er du Code civil le principe selon lequel « seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives » (le présent arrêt ; également : Cass. 3ème civ., 8 juillet 2015, n°13-27.248, FS-PB). 

[3] Pour rappel cet arrêt a posé que « l'alinéa 4 de l'article L. 227-9 du code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa de l’article L. 227-9 et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d'en poursuivre l'annulation ».

[4] Dans cette affaire, les héritiers non agréés d’un associé de société civile immobilière (SCI) avaient participé à une assemblée désignant son gérant, ce dont la troisième chambre civile avait déduit la nullité de ladite assemblée, peu important que cette participation ait été sans influence sur le résultat du vote du fait que les voix des associés ayant valablement voté suffisaient à nommer le gérant. 

 

[5] « Il résulte de la combinaison des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéa 3, du code civil que la participation d'une personne n'ayant pas la qualité d'associé aux décisions collectives d'une société à responsabilité limitée constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l'irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision ». 

[6] E. Guégan, Les nullités des décisions sociales, Préface R. Mortier, Dalloz, 2019, §352 et s. 

[7] La minoration erronée des droits de vote de certains obligataires opposés au plan de sauvegarde de la société n’a pas été retenue pour annuler la décision aux motifs que l’irrégularité était sans influence sur le résultat du vote dès lors que celui-ci serait resté favorable à l’adoption du plan même si le droit de vote des obligataires lésés avait correspondu au nominal de leurs titres. 

[8] Refus d’annuler le conseil d’administration d’une SA auquel avait pris part un administrateur démissionnaire d’office, aux motifs que le quorum restait atteint et que les délibérations auxquelles l’administrateur avait pris part avaient été adoptées à la majorité requise, abstraction faite de son vote. 

[9] Refus d’annuler la décision des associés d’approuver la valeur des apports en nature à laquelle avait participé un apporteur en nature lors de l’augmentation de capital d’une société par actions, aux motifs qu’à supposer que l’apporteur n’ait pas participé au vote, celui-ci aurait été régulier pour avoir été adopté à la majorité des voix des autres associés. 

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