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La libéralisation des conseils (d’administration, de surveillance) et du directoire

03 juillet 2024

Loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France

Genèse. – La loi n°2024-537 du 13 juin 2024 (publiée au JO du 14 juin 2024) visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France est née d’une proposition de loi (PPL) de M. Alexandre Holroyd , déposée le 12 mars 2024 sur le bureau de l’Assemblée nationale , pour laquelle le gouvernement avait engagé la procédure accélérée (une seule lecture par assemblée parlementaire) le 13 mars 2024. 

Processus d’adoption. - La PPL a été adoptée en première lecture le 10 avril par l’Assemblée nationale puis le 14 mai par le Sénat, avant de faire l’objet d’un accord le 28 mai par la commission mixte paritaire (CMP). L’adoption définitive du texte a eu lieu le 3 juin au Sénat et le 5 juin à l’Assemblée nationale. Le texte fait figure de rescapé de la récente dissolution de l’Assemblée nationale. Au fil des débats parlementaires, il s’est sensiblement alourdi, passant de 14 à 29 articles. 

La loi apporte plusieurs réformes d’importance au droit des sociétés. Nous aurons l’occasion de revenir sur certaines d’entre elles, et notamment sur l’assouplissement des prises de décisions par la collectivité des associés de sociétés civiles et commerciales. Pour l’heure, nous nous intéressons à ce qu’il n’est pas inexact de qualifier de libéralisation -certes timide- des organes collégiaux que sont le conseil d’administration (SA à structure moniste), ainsi que le conseil de surveillance et le directoire (SA à structure dualiste ; SCA pour le CS). 

Trois grands mouvements se dessinent :

1.    Assouplissement des modalités de participations aux conseils (SA et SCA)
2.    Assouplissement de la composition et de l’organisation du directoire et du conseil de surveillance (SA dualistes)
3.    Accroissement des pouvoirs du conseil d’administration et du directoire (SA)

1.    Assouplissement des modalités de participation aux conseils (d’administration et de surveillance)

1.1     Dans les SA

Entrée en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'Etat, et au plus tard trois mois après la promulgation de la Loi, soit le 14 septembre 2024
Source : L., art. 18. (C. com., Art. L. 225-37 C. com. mod. pour le CA ; Art. L. 225-82 C. com. pour le CS ; nouv. art. L. 22-10-3-1 (CA de société cotée) et L. 22-10-21-1 (CS de société cotée)) et L, art. 29

1.1.1     Une participation par moyens de télécommunication facilitée 

Jusqu’alors, les administrateurs et membres du conseil de surveillance ne pouvaient participer au conseil par un moyen de télécommunication (permettant leur identification et garantissant leur participation effective), qu’à la double condition que les statuts ne l’interdisent pas et qu’une clause du règlement intérieur l’autorise (C. com., art. L. 225-37, al. 3 ancien pour le CA ; L. 225-82 al. 3 ancien pour le CS). Cette seconde condition est supprimée. Désormais la participation des administrateurs et des membres du conseil de surveillance par un moyen de télécommunication (incluant notamment la visio-conférence, auparavant expressément visée par les textes) est possible « sauf disposition contraire des statuts ou du règlement intérieur » (C. com., art. L. 225-37, al. 3 pour le CA ; C. com., art. L. 225-82, al. 3 pour le CS).

  • Concrètement, en l’absence d’une telle stipulation, les administrateurs participant au conseil par voie de télécommunication (permettant leur identification et garantissant leur participation effective) « sont réputés présents, pour le calcul du quorum et de la majorité » (C. com., art. L. 225-37, al. 3 et L. 225-82, al. 3 précités).

Autre innovation importante, les nouveaux textes ouvrent la faculté de participer au conseil d’administration ou au conseil de surveillance par un moyen de télécommunication quelle que soit la nature de la décision du conseil (C. com., art. L. 225-37, al. 3 pour le CA et L. 225-82, al. 3 pour le CS). 

  • Pour rappel, il était auparavant interdit de participer par voie de télécommunication aux conseils réunis pour procéder à certaine opérations (C. com., art. L. 225-37, al. 2 pour le CA : établissement de l’inventaire, des comptes annuels, du rapport de gestion, des comptes consolidés et du rapport sur la gestion du groupe ; C. com., art. L. 225-82, al. 3 pour le CS : vérification de l’ensemble de ces documents établis par le directoire). 
  • Les statuts peuvent continuer comme auparavant de « limiter la nature des décisions pouvant être prises lors d'une réunion tenue dans ces conditions et prévoir un droit d'opposition au profit d'un nombre déterminé » d’administrateurs (C. com., art. L. 225-37, al. 3) ou de membres du conseil de surveillance (C. com. art. L. 225-82, al. 3) ».

Des dispositions particulières sont instituées pour les SA dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation. « Nonobstant toute disposition contraire des statuts, sont réputés présents, pour le calcul du quorum et de la majorité, les [« administrateurs » et « membres du conseil de surveillance »] qui participent à la réunion par un moyen de télécommunication permettant leur identification, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. Les statuts ou le règlement intérieur peuvent prévoir que certaines décisions ne peuvent pas être prises lors d'une réunion tenue dans ces conditions » (C. com., art. L. 22-10-3-1, pour les administrateurs, et L. 22-10-21-1, pour les membres du conseil de surveillance, créés par L., art. 18, II, 9° et 10°). Ces dispositions sont maladroitement rédigées en ce qu’elles peuvent paraître incohérentes voire contradictoires. Il faut comprendre que désormais les membres des conseils des sociétés cotées ont par principe un droit d’ordre public à y participer par un moyen de télécommunication, ce qui ne nécessite plus une clause en ce sens du règlement intérieur, mais surtout interdit aux statuts et au règlement intérieur (bien que ce dernier ne soit pas visé) de les en priver, sauf pour certaines décisions qui seraient limitativement énumérées dans lesdits statuts ou règlement intérieur.

1.1.2 Généralisation du droit de prévoir dans les statuts l’adoption de décisions par consultation écrite y compris par voie électronique 

La loi autorise également à prévoir dans les statuts que le CA ou le CS pourra prendre tout type de décisions ou certaines d’entre elles par voie de consultation écrite (C. com., art. L. 225-37, al. 3 pour le CA ; C. com., art. L. 225-82, al. 3 pour le CS), « y compris par voie électronique » (formulation employée à propos du CA, cette consultation devant alors avoir lieu, « selon les délais et modalités » définis par les statuts ; pour le CS, la formulation est différente, car il est prévu que « le président du conseil de surveillance peut décider que les membres du conseil peuvent communiquer leur réponse par message électronique à l'adresse électronique indiquée »). Jusqu’ici la faculté de recourir à une consultation écrite n’était pas possible par voie électronique et surtout n’était ouverte que pour certaines décisions limitativement énumérées par la loi : nomination provisoire de membres du conseil, autorisation des cautions, avals et garanties donnés par la société, modification des statuts pour les mettre en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires, convocation de l'assemblée générale et transfert du siège social dans le même département (C. com., art. L. 225-37, al. 3 ancien pour le CA  ; C. com., art. L. 225-82, al. 3 ancien pour le CS ). La généralisation de la consultation écrite est assortie d’une protection des membres du conseil : elle n’est en effet possible que « sous réserve de prévoir que tout membre du conseil peut s'opposer à ce qu'il soit recouru à cette modalité » (C. com., art. L. 225-37, al. 4 pour le CA ; C. com., art. L. 225-83, al. 3 pour le CS).

1.1.3 Admission du vote par correspondance 

Enfin les statuts peuvent « admettre le vote par correspondance au moyen d'un formulaire dont les mentions sont déterminées par décret en Conseil d'Etat » (C. com., art. L. 225-37, al. 3 et L. 225-82, al. 3 mod. par L., art. 18, II, 3°, b et 4°, b).

1.2    Dans les sociétés en commandite par actions
 
Entrée en vigueur
à une date fixée par décret en Conseil d'Etat, et au plus tard trois mois après la promulgation de la Loi, soit le 14 septembre 2024.
Source : L., art. 18 (C. com., Art. L. 226-4 mod.) et L, art. 29

L’article L. 226-4 du code de commerce, applicable aux SCA, est enrichi d’un cinquième alinéa. Ce texte introduit la faculté de prévoir dans les statuts de la SCA :

  • la possibilité d’adopter les décisions ou certaines d’entre elles par consultation écrite y compris par voie électronique. Les « décisions du conseil de surveillance ou certaines d'entre elles peuvent être prises par consultation écrite de ses membres, y compris par voie électronique, selon les délais et les modalités qu'ils définissent », et ce « sous réserve de prévoir que tout membre du conseil peut s'opposer à ce qu'il soit recouru à cette modalité » (C. com., art. L. 226-4 al. 5, première phrase) ; 
  • La possibilité d’ « admettre le vote par correspondance au moyen d'un formulaire dont les mentions sont déterminées par décret en Conseil d'Etat » (C. com., art. L. 226-4, al. 5, deuxième phrase).

2.    Assouplissement de la composition et de l’organisation du directoire et du conseil de surveillance (SA dualistes)

2.1     Conseil de surveillance

Entrée en vigueur le 15 juin 2024.
Source : L., art. 21 (C. com., art. L. 225-81 mod. ; art. L. 22-10-25 mod.) et C. civ. Art. 1

Introduction de la possibilité pour le conseil de surveillance de nommer parmi ses membres, non plus nécessairement un seul, mais éventuellement plusieurs vice-présidents du conseil chargés de convoquer le conseil et d'en diriger les débats. Cette nouvelle souplesse permettra de réduire considérablement le risque de vacance résultant jusqu’alors de l’absence tant du président que de son vice-président. Pour rappel, un vice-président de CS doit être une personne physique et sa rémunération est déterminée par le conseil de surveillance.

2.2    Directoire

Entrée en vigueur le 15 juin 2024 – Attention : le décret d’application de cette nouvelle disposition n’est toutefois pas paru à ce jour.
Source : C. com., art. L. 225-58 mod par L. Art. 21, 2° : « Au deuxième alinéa de l'article L. 225-58, le montant : « 150 000 euros » est remplacé par les mots : « un seuil fixé par décret » » et C. civ. Art. 1

Le seuil de capital social en-dessous duquel les fonctions dévolues au directoire -organe collégial- peuvent être exercées par un directeur général unique, fixé à 150.000 € par la loi, sera à l’avenir fixé par Décret (–La réforme semble s’inscrire dans la tendance générale à simplifier au maximum le rehaussement des seuils dans un contexte d’inflation). Autrement dit, il est très probable que le seuil de 150.000 euros est destiné à être rehaussé, même s’il pourrait parfaitement être maintenu, voire abaissé.

3.    Accroissement des pouvoirs du conseil d’administration et du directoire (SA)

3.1    Suppression de l’obligation pour le conseil d’administration et pour le directoire de prendre en compte des enjeux « culturels et sportifs »  lorsqu’il détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre.

Entrée en vigueur le 15 juin 2024.
Source : L., art. 20 (C. com., art. L. 225-35, al. 1 mod., pour le CA ; L. 225-64, al. 1 mod. pour le directoire) et C. civ. Art. 1

Le mieux étant ici l’ennemi du bien, ces enjeux « culturels et sportifs » ont été jugés trop éloignés du cœur d’activité des entreprises et leur interprétation a été perçue comme un facteur d’insécurité juridique dans la conduite des affaires économiques . 

  • Pour mémoire, l’obligation ainsi supprimée avait été introduite par la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France. Constatant que la pratique du sport est moindre chez les adultes entre 25 et 40 ans, aux termes d’un rapport de santé publique France publié en octobre 2020, des sénateurs avaient souhaité, lors des travaux parlementaires afférents à cette loi, « permettre aux entreprises d’inscrire le sport comme raison d’être » . Par un prétendu souci de « cohérence », ils estimèrent opportun d’ajouter à l’objectif de développement de la pratique sportive celui du développement de pratiques culturelles, lesquelles participeraient « d’une même logique ». Deux amendements (n° 43 rect. et 117 rect.) furent déposés à cette fin, et adoptés avec l’avis favorable du Gouvernement. Cette réforme était en réalité très inopportune et a été comme telle très critiquée. On a pu évoquer à son sujet un « coup de théâtre » , un « égarement » , un « bug » , voire un « accident législatif »  ou encore une « aberration » . L’adjonction de la mention « culturels et sportifs » posait deux difficultés majeures : d’une part, elle affaiblissait la portée de l’expression mère « enjeux sociaux et environnementaux », le sport et la culture ayant été en somme portés au même degré que les questions sociales et environnementales ; d’autre part, elle multipliait jusqu’au tournis les enjeux devant être pris en considération par les organes sociaux lors de la détermination des orientations de l’activité de la société .
     
  • Il est ainsi fait retour à la rédaction d’origine du dispositif, tel qu’issu de la loi Pacte n°2019-486 du 22 mai 2019 (art. 169 ). Le CA et le CS n’ont donc plus que l’obligation, qui résultait de cette loi, de prendre en compte les « enjeux sociaux et environnementaux », et non plus les « enjeux sociaux, environnementaux, culturels et sportifs ». Le champ des « enjeux sociaux et environnementaux » introduits par la loi Pacte est déjà fort étendu, en ce qu’il englobe « tout ce qui touche aux activités humaines et à l’environnement social de l’entreprise » ainsi qu’à « l’environnement naturel de la société » . 

3.2    Renforcement des pouvoirs du conseil d’administration et du directoire pour modifier les statuts à l’effet de les mettre en conformité avec les dispositions légales et réglementaires

Entrée en vigueur le 15 juin 2024.
Source : L., art. 21 (C. com., art. L. 225-36 al. 2 mod., pour le CA, et Art. L. 225-65 mod. pour le directoire) et C. civ. Art. 1

Rappel. - Depuis la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, le conseil d’administration ou le conseil de surveillance peut modifier les statuts d’une SA afin de les mettre en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires, sous réserve que l’assemblée générale extraordinaire intervienne tant en amont, pour déléguer ce pouvoir, qu’en aval, pour ratifier la modification.

Assouplissement réalisé. - Afin de permettre une mise en conformité des statuts dans les meilleurs délais, la loi supprime au sein des articles L. 225-36 al. 2 (pour le conseil d’administration) et L. 225-65 (pour le directoire) la nécessité pour le conseil d’administration et le directoire de bénéficier en amont d’une délégation de l’assemblée générale extraordinaire. 

  • Cette suppression a une portée importante dans la mesure où elle aboutit à permettre au conseil d’administration et au directoire de modifier directement les statuts sans décision préalable en ce sens de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires. 
     
  • Elle doit cependant être relativisée : d’une part, la modification des statuts dont il est ici question ne laisse guère de latitude à la société puisqu’elle s’impose à elle si elle ne veut pas enfreindre les lois et règlements. D’autre part, l’obligation de faire ratifier ces modifications par la prochaine assemblée générale extraordinaire demeure, de sorte que cette dernière n’intervient certes plus a priori mais conserve son droit d’intervention et de regard a posteriori. 

Accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France (Dossier législatif en version repliée) - Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr) 

LOI n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France, JO du 14 juin 2024

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